[Procès France Télécom] : "La violence est un fil rouge qui traverse le dossier"

[Procès France Télécom] : "La violence est un fil rouge qui traverse le dossier"

08.07.2019

Gestion du personnel

Syvie Topaloff et Jean-Pierre Teissonnière, les avocats de plusieurs parties civiles et du syndicat SUD, ont demandé, lors de leur plaidoirie, le 4 juillet, que la responsabilité individuelle des anciens dirigeants de France Télécom, accusés de harcèlement moral ou de complicité de ce délit, soit reconnue. Morceaux choisis.

Dans la salle comble du tribunal correctionnel où sont jugés les ex dirigeants de France Télécom pour harcèlement moral, les avocats de plusieurs parties civiles et du syndicat SUD, Syvie Topaloff et Jean-Pierre Teissonnière, ont ouvert les plaidoiries, ce jeudi 4 juillet. Ils ont plaidé la responsabilité individuelle de ces ex-responsables, aux commandes du groupe pendant les années noires, de 2005 à 2009, au cours de laquelle 12 personnes se sont donné la mort. Selon eux, le harcèlement moral systémique est caractérisé. "Ces suicides ne sont pas le fait de dérives individuelles mais d’une politique générale de l’entreprise déclinée à tous les échelons [de l’organigramme]", assène Syvlie Topaloff qui a, dans une première partie de sa plaidoirie, porté la voix des victimes en détaillant leur histoire. "L’évocation de chacune de ces situations a un sens, on retrouve la même mesure, les mêmes effets, des décisions brutales, sans recours".

"Est-ce que les dirigeants étaient si candides?", demande l’avocate. "Le plan était-il aussi vertueux que l’on essaie de le démonter ?". "Et pourquoi dans cette entreprise n’a-t-on rien fait, pas écouté, entendu?".

La notion de "départs naturels" réfutée
 Le cynisme est à l’œuvre et le mot volontariat est un leurre

Tout commence, en fait, par le plan Next et sa déclination RH Act, lancés en juin 2005, pour la période 2006-2008, qui visaient à transformer France Télécom en trois ans, avec notamment l’objectif de 22 000 départs sur 120 000 salariés. Or, "ces départs reposent sur un mensonge", soutient l’avocate qui réfute l’affirmation de l’entreprise selon laquelle il s‘agirait de "départs naturels". "7 100 personnes ont quitté le groupe chaque année pendant trois ans, détaille-t-elle. Et seules 1 600 personnes sont parties à la retraite en 2007. Ce chiffre tombe même à 950 en 2009. Pour atteindre 7 500, il faut trouver 5 500 autres personnes qui quittent le groupe".

D’où les mobilités forcées, des changements de métiers "qui rendent fous", des missions d’intérim "éloignées du domicile", décidées de manière "arbitraire" et visant "à déstabiliser les salariés", des mises au placard voire l’introduction d’une culture du turn-over…

A ce stade, "on peut légitimement penser que le cynisme est à l’œuvre et le mot volontariat est un leurre".

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Gestion RH défaillante
Les risques sont détectés dès le CCE extraordinaire de novembre 2006 

Les deux avocats pointent particulièrement la gestion RH défaillante. "Il manque une compétence de DRH à l’entreprise, observe Maître Tessonnière. Et notamment de "RH de proximité" car la "relation humaine fait défaut". Il estime que ce drame aurait pu être évité. "Rien n'interdisait de faire une GPEC permettant aux gens de partir. Il y avait de la marge, du grain à moudre, si on l’avait voulu". A la place, "une ambiance profondément délétère [s’installe]". Et "la peur s’empare de tous". "Il faut trouver des low performers", selon l’expression d’Olivier Barberot, l’ex DRH de l’entreprise.

"Pour que ça marche, ajoute Sylvie Topanoff, il eut fallu être extrêmement prudent et à l’écoute. On ne se lance dans une transformation sociale, sans garantie, sans garde-fous : baromètre, médecins du travail, assistantes sociales, formation… Toute mesure servant à évaluer au niveau  microéconomique comment on passe des chiffres aux hommes".

Il y a pourtant eu "des alertes", rappellent les avocats : l’Observatoire du stress, les rapports des médecins du travail, les CCE, CHSCT, les lettres des délégués du personnel... "Les risques sont détectés dès le CCE extraordinaire de novembre 2006, rappelle Maître Topaloff. Le mot harcèlement moral (y) apparaît à sept reprises".

En vain. "La violence est un fil rouge qui traverse le dossier", dénonce Maître Tessonnière. Or, "une seule décision [pouvait] arrêter le désastre". Il aura, toutefois, fallu attendre 2009 pour que le groupe décide de mettre un terme aux "mobilités forcées".

Sombrer dans le mépris de soi-même
Faites-moi balayer la cour si vous voulez, mais ne me laissez pas devant un écran 

Certes, ces personnes ne sont pas licenciées. Mais elles sont "déplacées", "humiliées", "déclassées", "dévalorisées", poursuit Sylvie Topaloff. Au point de "sombrer dans le mépris de soi-même".

Elle rapporte ici les propos de Jean-Michel L., un technicien qui s’est suicidé "en se jetant sous un train alors qu’il était au téléphone avec un délégué du personnel". "Faites-moi balayer la cour si vous voulez, mais ne me laissez pas devant un écran", avait-il demandé à sa responsable qui l’avait affecté à un poste de back-office d’une plate-forme téléphonique.

Jean-Pierre Tessonnière cite également le cas d’Yves M. "qui était heureux avant 2006". Technicien "fibres", devenu "Monsieur Minitel", puis spécialiste des mini-services informatiques, programmateur et enfin manager, il découvre, en 2006, que son poste est en doublon, à la suite du regroupement de deux directions régionales. Il est alors affecté sur une plate-forme téléphonique, "le mouroir des cadres", à la "cellule vigie plateau", chargé de contrôler les appels passés par son équipe. "Ce travail il le déteste", dira sa veuve, lors d’une audience précédente. Il se définissait lui-même comme "garde-chiourme". Yves M. s’est suicidé.

Un "immense accident du travail" 
 Derrière la loi du marché, il y a des hommes qui font des choix

Face à ces situations, les avocats des parties civiles écartent la responsabilité de l’Etat. Même "s’il n’a probablement pas joué son rôle dans cette affaire". De même, ils réfutent la justification économique - l'entreprise est au bord du gouffre-, invoquée par les dirigeants pour expliquer "qu'ils ne pouvaient pas faire autrement". Ils balaient également l’argument selon lequel les faits ont été motivés par des contraintes capitalistiques, propres à des entreprises cotées en bourse.

"Derrière la loi du marché, il y a des hommes qui font des choix. Des choix qui ont affecté parfois durablement la vie d’autres hommes. Il est essentiel que les responsabilités de chacun soient reconnues, conclut Jean-Pierre Tessionnière. Car il s’agit, selon lui, d’un "immense accident du travail organisé par l’employeur, ce qui correspond à la définition du harcèlement moral systémique".

Dans ce contexte, "il n’est pas possible que personne ne soit susceptible de répondre à ce qui s’est passé (…). Il faut pouvoir identifier, localiser les responsabilités". "Si tel n’est pas le cas, le risque est de provoquer une sorte de fureur absolue".

Les plaidoiries des prévenus ont lieu en ce début de semaine. Le verdict est, lui, attendu pour l’automne.

Anne Bariet
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